Aujourd'hui, nous parlerons de l'écriture, de ce geste qui n'est pas nécessaire dans notre vie, inutile je dirais, et qui pourtant, au moins une fois dans la vie nous a amené à être face à une feuille, ce grand océan blanc, qui nous fait peur et qui ,en même temps, nous donne envie de le traverser en long et en large, en ayant comme navire,un stylo, noir, bleu, rouge. Et ce voyage sur la grande mer en papier, entrepris avec les voiles pleines d'émotions, nous trace la route, une route formée de lettres, de points, de syllabes qui semblent trembler sur la page au moment où on les pose...ceci est le chemin à suivre pour se rencontrer...pour se rencontrer nous même et ainsi, se dire "Bonjour!" devant la page remplie, devant ce miroir ,glace faite d'ancre parfumée, odeur de notre intimité la plus profonde.
Mais
qu'est ce qu'on confie au papier, à l'écran d'un ordinateur? On lui
raconte une journée particulière, l'histoire d'une rencontre
inattendue, nos pensés intimes qui battent au rythme de nos cœurs
ou qui sont mouillées de la chaleur de nos larmes. Le philosophe
Maria Zambrano définit la magie de l'écriture comme "une
exigence" et au contraire, Platon en parle dans son dialogue
philosophique "Phèdre", comme une sorte de malédiction,
en raison du fait que l'invention de l'écriture aurait fait négliger
à l'homme l’exercice de la mémoire.
Pour
comprendre à quel point l'écriture a été importante pour
l'histoire de l'homme, il suffit de se souvenir que la notion même
d'histoire est né avec l'écriture. Avant celle-là, il n'y avait
aucune source, l'homme était une sorte de pré-homme; c'était la
longue époque de la préhistoire. Donc, il y a, vous le comprenez,
un lien très étroit entre homme et écriture et l'on pourrait même
dire que l'homme c'est l'écriture. L'écriture devient le témoignage
de son passage dans la vie, dans l'histoire des hommes. Les premiers
signes graphiques, ancêtres de ceux qui nous connaissons aujourd'hui
sous le nom commun d'écriture, sont apparues il y a environ 3500
ans. Comme vous le savez, les premières formes d'écriture sont
celles très énigmatiques des sumériens et des égyptiens. Mais,
aujourd'hui, il ne s'agit pas de tracer une histoire de l'écriture,
même si le sujet est fort intéressant. Ce qu'on voudrait faire,
pendant cette heure ensemble, c'est donner une réponse à une
question, ou du moins réfléchir sur la question même,
c'est-à-dire: pourquoi écrit-on? pourquoi les grands littéraires
et philosophes ont écrit et pourquoi, nous les lisons ?
Les
psychologues disent que l'écriture, en tant que trace écrite, donne
l'illusion à l'homme de ne pas mourir, ou mieux, de pouvoir laisser
une empreinte dans l'histoire, vu que les pensées écrites
survivront à la mort du corps...une sorte d'élixir d'immortalité!
Et
effectivement, tous ceux qui écrivent le font pour les autres, pour
jeter des ponts entre le moi-homme-écrivain et le monde des lecteurs
hors-de-moi. C'est, on pourrait dire, un appel de vie après la mort:
Lisez-moi! Faites-moi vivre, Messieurs!
Et à
bien voir, parmi la série de lettres constituant une phrase, un
compte, il se cache quelque chose. Parmi les petits espaces blancs,
il se cache mon individualité unique, le "secret"
l'appelle Maria Zambrano, qu'on voudrait communiquer aux autres et à
soi même. On pourrait bien dire que les lettres, les mots, ne sont
qu'un prétexte d'expression...quand j'écris je confie au mot mon
être secret, celui dont je ne parle à l'oral avec personne, celui
qui me fait peur, celui qui me fait trembler...mais, malheureusement,
le mot, même celui que j'écris, est traître, il n'arrivera jamais
à exprimer ce que je suis...voyons, au moins c'est quelque chose!
C'est
une toute petite trace de moi laissé à jamais dans l'histoire. Et
peut-être que d'ici 1000 ans, un chercheur s'exclamera: "Tiens!
En 2014 ce jeune homme confiait ses rêves et ses soucis à son
journal intime...qui était-il? On va faire de l'histoire, on va en
savoir davantage sur lui...". C'est ainsi qui l'histoire est né!
Mais
pour qui écris-je ? Pour ma maman, pour mon chef...mais d'ici 1000
ans? Pour qui aurait-je écrit? On pourrait dire que j'ai écrit pour
personne, pour Monsieur ou Madame personne, je n'ai écrit que pour
moi, pour mon empreinte dans l'histoire, pour l'homme-lecteur présent
et à venir. Et, peut-être, que c'est dans ce sens qu'il faut penser
la conception de l'écriture comme le philosophe Derrida, quand il
affirme qu'on écrit pour un absent. L'écriture, même la carte
postale que j’envoie de mes vacances, je l'écris pour le lecteur
universel et non pour une personne en particulier.
Ça a
l'air compliqué, quand même!
On va
rendre plus simples les choses avec un exemple qui peut être va
décevoir quelqu'un...
Si
j'écris une lettre d'amour, plein de pathos et de jolies phrases, eh
ben, je ne l'écris pas seulement pour mon amoureux présent, mais,
je suis en train de l'écrire pour tous les amoureux du monde, je
l'écris au nom de l'amour universel et des amoureux à venir, pour
les amoureux qui vivront d'ici 1000 ans...
Aix-en-Provence
2014
L'émission
sera bientôt disponible en ligne et sur youtube:
Facebook:
Entracte Emission / Marco Caccavo
Twitter:
@Entracteradio / @MarcoCaccavo
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