L'art
est une blessure qui devient lumière
Georges Braque
Georges Braque
Le
geste d'artiste, à la fois, cache et révèle, et c'est à ce moment
que l'interprétation personnelle de l’œuvre prend forme dans
notre esprit de spectateur. Le langage de la création est celui qui
maîtrise la lumière et le sombre, le brumeux souvenir et le
lumineux réel. Et comme le jour et la nuit sont opposés, mais
semblent presque se renverser l'un dans l'autre dans les instants
d'aube ou du coucher de soleil, ainsi deux artistes trouvent un
moment commun pour se reconnaître l'un dans le travail de l'autre.
Quand cela arrive, leurs pensées, à travers leurs œuvres, courent
comme des étincelles d'images dans un jeu de miroir et, enfin, ils
se pénètrent, en se posant, essoufflées, et nous parlent. Bien
sûr, les mondes de deux artistes parlent avec des accents
dissemblables qui renvoient à l'utilisation de matières différentes
pour la création, mais leur sujet de discussion est commun: tous les
deux cherchent l'expression de leur intérieur, agité par le vécu
et par l’interprétation du monde contemporain.
Philippe
Lefebvre et Harry Gaabor nous proposent cet échange entre vécu et
regard actuel dans un espace d'art, lieu subtile de l'aube et du
coucher de la pensée.
Lefebvre,
artiste joue du métal, plie et façonne la matière au gré des
battements de son cœur. Il est artisan, archéologue de la mémoire
en action et travaille sur des souvenirs qui ont marqué sa peau,
parfois doucement, parfois plus violemment, la vie donne le rythme et
le timbre de ses créations. Et ainsi la matière est voix des
blessures et des fragilités de l'artiste. Le noble métal, matière
faite pour résister au temps, aux émotions, devient métaphore du
flou souvenir. Ce dernier, tiré de l’abîme de l'oubli, revient et
recompose, à l'aide de l'introspection, une histoire qu'il essaye de
rendre cohérente pour s'expliquer pourquoi ses blessures sont encore
saignantes.
Faire
revenir à la surface, comprendre, créer. Au final, la création,
n'est-elle pas une volonté de projeter hors-de-soi les émotions
cachées pour mieux essayer de les comprendre?
Songez
à une sculpture en métal. A l'une de celles de Lefebvre. Elle est
le porte-parole de toutes nos angoisses présentes, de toutes nos
émotions passées. Son but d'artiste est celui de les rendre
cohérentes. Mais, on le sait, la langue du cœur a du mal a
s'exprimer d'une façon claire...le souvenir, la blessure, il faut
tout cimenter en blanc pour poursuivre le voyage au bout de la vie...
Gaabor,
conteur du contemporain, noue, dans une même œuvre, le monde bien
présent à nos sens et celui spirituel, qui demande un sursaut du
cœur pour être compris. Ses œuvres narrent du fléau de la guerre,
bien sûr adoucie par l'espoir provenant d'un bouquet de fleur ou
d'un soldat à la morphologie plutôt apte à la séduction qu'à la
destruction. L'artiste raconte dans ses œuvres le rapport difficile
entre nature et civilisation, entre « être humain durable »
et éternel devenir du cosmos.
Presque
tous ses travaux, qui vont de la peinture sur bois à la sculpture,
présentent une double lecture. La première, certes immédiate, est
celle liée aux couleurs qui captivent le regard et au sujet
d'actualité que l'on peut facilement reconnaître.
Mais
ce n'est pas un travail de simple dénonciation.
On
le disait tout à l'heure: le geste d'artiste, à la fois, cache et
révèle.
La
deuxième lecture de son travail est une sorte de révélation
laïque: l'artiste narre les défis et les enjeux de l'humain et
cache, en utilisant le langage des symboles spirituels, la dimension
métaphysique de leur résolution.
Le
monde à venir que Gaabor confie à ses œuvres est celui hanté par
un cri d'humanisation, permettant de tourner en colorée dérision
une tragédie comme celle de la guerre ou de confier aux têtes de
mort la valeur d'une joyeuse vanitas qui nous invite à
danser. Et ce ballet se produit sur les ruines d'une ville développée
à la verticale pour faire naître, en dansant, une ville
horizontale. Dans ce nouvel espace, la nature, avec ses couleurs et
ses fragilités, n'est plus opposition à l'animalisation dont
parlait Diderot, c'est-à-dire la volonté de tout engloutir pour
posséder, mais c'est une heureuse danse animée par les atomes qui
composent l'homme et la verte chlorophylle de la feuille.
Et
voilà l'univers artistique d'Harry Gaabor, coloré guérillero du
spirituel qui avec son pinceau crée de souriantes acrobaties sur les
ruines de notre grise civilisation.
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